Zadig ou la Destinée et autres contes | Voltaire

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Zadig ou la Destinée est un conte philosophique de Voltaire, publié pour la première fois en 1747 sous le nom de Memnon. Allongé de quelques chapitres, il fut publié une nouvelle fois en 1748 sous son titre actuel. La présente édition comporte également Le monde comme il va et le texte de Memnon, dont l’histoire est étroitement liée à celle de Zadig.

Présentation de l’ouvrage

Zadig ou la Destinée est un conte philosophique de Voltaire, publié pour la première fois en 1747 sous le nom de Memnon. Allongé de quelques chapitres, il fut publié une nouvelle fois en 1748 sous son titre actuel. D’après Longchamp, secrétaire de Voltaire, c’est au cours des soirées mondaines données à Sceaux, chez la duchesse du Maine, que l’idée d’écrire des contes inspire à Voltaire ce petit roman, qualifié aussi de conte philosophique, qui connaît plusieurs éditions à partir de 1747. Il s’est par ailleurs défendu d’en être l’auteur, le considérant comme une simple « couillonnerie ». Cette œuvre est inspirée d’un conte persan intitulé Voyages et aventures des trois princes de Serendip. Cependant Zadig va plus loin que les trois princes de Serendip en ce sens qu’il utilise la science de son temps, un « profond et subtil discernement », pour parvenir à ses conclusions. Il a acquis « une sagacité qui lui découvrait mille différences où les autres hommes ne voient rien que d’uniforme ». Voltaire n’évoque pas le hasard mais parle d’une « bizarrerie de la providence ». Il introduit également le suspense dans son récit, alors que dans la tradition du conte oriental le lecteur est averti dès le départ que les trois frères n’ont pas vu l’animal, ce qui renforce le raisonnement indiciaire de Zadig pour se rapprocher de la méthode scientifique. La présente édition comporte également Le monde comme il va et le texte de Memnon, dont l’histoire est étroitement liée à celle de Zadig.

Présentation de l’auteur

François-Marie Arouet, dit Voltaire, né le 21 novembre 1694 à Paris et mort dans la même ville le 30 mai 1778, est un écrivain, philosophe et homme d’affaires français qui a marqué le XVIIIe siècle.

Représentant le plus connu de la philosophie des Lumières, anglomane, féru d’arts et de sciences, personnage complexe, non dénué de contradictions, Voltaire marque son époque par sa production littéraire et ses combats politiques. Son influence est décisive sur les classes fortunées libérales avant la Révolution française et pendant le début du XIXe siècle.

Anticlérical mais déiste, il dénonce dans son Dictionnaire philosophique le fanatisme religieux de son époque. Sur le plan politique, il est en faveur d’une monarchie modérée et libérale, éclairée par les « philosophes ». Mettant sa notoriété au service des victimes de l’intolérance religieuse ou de l’arbitraire, il prend position dans des affaires qu’il a rendues célèbres : Jean Calas, Pierre-Paul Sirven, le chevalier de La Barre et le comte de Lally.

Informations complémentaires

© Éditions Casamédia, 2021.
ISBN : 9798596758948
1ère de couverture : gravure, 1809.
4e de couverture : peinture de Nicolas de Largillière, 1724 ou 1725.
Édition originale : Garnier, 1877.
1ère parution : 1747 (Zadig) / 1746 (Le monde comme il va) / 1750 (Memnon).

Auteur : Voltaire
Nombre de pages : 140
Date de sortie : 18/01/2021
Dimensions : 11x229x313

Extrait

I. Le borgne

Du temps du roi Moabdar il y avait à Babylone un jeune homme nommé Zadig, né avec un beau naturel fortifié par l’éducation. Quoique riche et jeune, il savait modérer ses passions ; il n’affectait rien ; il ne voulait point toujours avoir raison, et savait respecter la faiblesse des hommes. On était étonné de voir qu’avec beaucoup d’esprit il n’insultât jamais par des railleries à ces propos si vagues, si rompus, si tumultueux, à ces médisances téméraires, à ces décisions ignorantes, à ces turlupinades grossières, à ce vain bruit de paroles, qu’on appelait conversation dans Babylone. Il avait appris, dans le premier livre de Zoroastre, que l’amour-propre est un ballon gonflé de vent, dont il sort des tempêtes quand on lui a fait une piqûre. Zadig surtout ne se vantait pas de mépriser les femmes et de les subjuguer. Il était généreux ; il ne craignait point d’obliger des ingrats, suivant ce grand précepte de Zoroastre : Quand tu manges, donne à manger aux chiens, dussent-ils te mordre. Il était aussi sage qu’on peut l’être ; car il cherchait à vivre avec des sages. Instruit dans les sciences des anciens Chaldéens, il n’ignorait pas les principes physiques de la nature, tels qu’on les connaissait alors, et savait de la métaphysique ce qu’on en a su dans tous les âges, c’est-à-dire fort peu de chose. Il était fermement persuadé que l’année était de trois cent soixante et cinq jours et un quart, malgré la nouvelle philosophie de son temps, et que le soleil était au centre du monde ; et quand les principaux mages lui disaient, avec une hauteur insultante, qu’il avait de mauvais sentiments, et que c’était être ennemi de l’état que de croire que le soleil tournait sur lui-même, et que l’année avait douze mois, il se taisait sans colère et sans dédain.

Zadig, avec de grandes richesses, et par conséquent avec des amis, ayant de la santé, une figure aimable, un esprit juste et modéré, un cœur sincère et noble, crut qu’il pouvait être heureux. Il devait se marier à Sémire, que sa beauté, sa naissance et sa fortune rendaient le premier parti de Babylone. Il avait pour elle un attachement solide et vertueux, et Sémire l’aimait avec passion. Ils touchaient au moment fortuné qui allait les unir, lorsque, se promenant ensemble vers une porte de Babylone, sous les palmiers qui ornaient le rivage de l’Euphrate, ils virent venir à eux des hommes armés de sabres et de flèches. C’étaient les satellites du jeune Orcan, neveu d’un ministre, à qui les courtisans de son oncle avaient fait accroire que tout lui était permis. Il n’avait aucune des grâces ni des vertus de Zadig ; mais, croyant valoir beaucoup mieux, il était désespéré de n’être pas préféré. Cette jalousie, qui ne venait que de sa vanité, lui fit penser qu’il aimait éperdument Sémire. Il voulait l’enlever. Les ravisseurs la saisirent, et dans les emportements de leur violence ils la blessèrent, et firent couler le sang d’une personne dont la vue aurait attendri les tigres du mont Imaüs. Elle perçait le ciel de ses plaintes. Elle s’écriait : « Mon cher époux ! on m’arrache à ce que j’adore. » Elle n’était point occupée de son danger ; elle ne pensait qu’à son cher Zadig. Celui-ci, dans le même temps, la défendait avec toute la force que donnent la valeur et l’amour. Aidé seulement de deux esclaves, il mit les ravisseurs en fuite, et ramena chez elle Sémire évanouie et sanglante, qui en ouvrant les yeux vit son libérateur. Elle lui dit : « Ô Zadig ! je vous aimais comme mon époux ; je vous aime comme celui à qui je dois l’honneur et la vie. » Jamais il n’y eut un cœur plus pénétré que celui de Sémire ; jamais bouche plus ravissante n’exprima des sentiments plus touchants par ces paroles de feu qu’inspirent le sentiment du plus grand des bienfaits et le transport le plus tendre de l’amour le plus légitime. Sa blessure était légère ; elle guérit bientôt.

Zadig était blessé plus dangereusement ; un coup de flèche reçu près de l’œil lui avait fait une plaie profonde. Sémire ne demandait aux dieux que la guérison de son amant. Ses yeux étaient nuit et jour baignés de larmes : elle attendait le moment où ceux de Zadig pourraient jouir de ses regards ; mais un abcès survenu à l’œil blessé fit tout craindre. On envoya jusqu’à Memphis chercher le grand médecin Hermès, qui vint avec un nombreux cortège. Il visita le malade, et déclara qu’il perdrait l’œil ; il prédit même le jour et l’heure où ce funeste accident devait arriver. « Si c’eût été l’œil droit, dit-il, je l’aurais guéri ; mais les plaies de l’œil gauche sont incurables. » Tout Babylone, en plaignant la destinée de Zadig, admira la profondeur de la science d’Hermès. Deux jours après l’abcès perça de lui-même ; Zadig fut guéri parfaitement. Hermès écrivit un livre où il lui prouva qu’il n’avait pas dû guérir. Zadig ne le lut point ; mais, dès qu’il put sortir, il se prépara à rendre visite à celle qui faisait l’espérance du bonheur de sa vie, et pour qui seule il voulait avoir des yeux. Sémire était à la campagne depuis trois jours. Il apprit en chemin que cette belle dame, ayant déclaré hautement qu’elle avait une aversion insurmontable pour les borgnes, venait de se marier à Orcan la nuit même. À cette nouvelle il tomba sans connaissance ; sa douleur le mit au bord du tombeau ; il fut longtemps malade, mais enfin la raison l’emporta sur son affliction ; et l’atrocité de ce qu’il éprouvait servit même à le consoler.

« Puisque j’ai essuyé, dit-il, un si cruel caprice d’une fille élevée à la cour, il faut que j’épouse une citoyenne. » Il choisit Azora, la plus sage et la mieux née de la ville ; il l’épousa, et vécut un mois avec elle dans les douceurs de l’union la plus tendre. Seulement il remarquait en elle un peu de légèreté, et beaucoup de penchant à trouver toujours que les jeunes gens les mieux faits étaient ceux qui avaient le plus d’esprit et de vertu.